Les besoins en logement social sont importants dans les territoires ultramarins, notamment dans ceux qui connaissent une vraie tension démographique comme la Guyane, La Réunion et Mayotte, soulignent la plupart des intervenants. Car avec 60 % des occupants d’un logement HLM en outre-mer qui disposent de revenus inférieurs à 40 % des plafonds du parc social (contre 40 % en métropole) et seulement un tiers des locataires HLM majeurs en emploi, les bailleurs sociaux accueillent des « personnes plus fragilisées » que dans l’Hexagone, précise Nadia Bouyer, directrice générale d’Action logement.

« Des ajustements à faire sur les APL »

En matière budgétaire, « il y a des ajustements à faire sur les APL », qui se révèlent dans certains cas « défavorables » et moins élevées pour les locataires ultramarins que pour des locataires métropolitains dans la même situation et ce, malgré un coût de la vie plus important en outre-mer, explique Sabrina Mathiot, directrice de l’Union sociale pour l’habitat Outre-mer. De même, le zonage du PTZ est « défavorable » à ces territoires « alors que l’accession permet de libérer des logements dans le parc social », poursuit cette dernière, qui plaide pour réparer ces « écarts, pour ne pas dire ces inégalités », par des interventions législatives.

Du côté des bailleurs, « depuis le Plom 2, nous avons vu des choses se mettre en place, comme l’extension du crédit d’impôt sur les réhabilitations en zone QPV ou l’entrée en vigueur de l’APL foyer qui va permettre de solvabiliser et de développer les résidences sociales et seniors », avance Philippe Pourcel, directeur général adjoint en charge du réseau des outre-mer de CDC habitat. Mais « l’accession sociale à la propriété est aujourd’hui en panne » en outre-mer, estime Nadia Bouyer. La faute aux taux d’intérêt qui augmentent et qui empêchent les partenaires bancaires d’apporter le complément de financement nécessaire à l’achat immobilier, malgré le maintien dans les Drom de l’APL accession et les aides prévues par la LBU ou les prêts Action logement, explique la directrice générale de l’organisme paritaire, qui demande une révision des critères bancaires en la matière. L’année dernière, 30 % des réservations effectuées dans le logement libre neuf ont été annulées pour des problèmes de financement bancaire, complète Stéphane Sanz, président de la Fédération des promoteurs immobiliers de La Réunion.

+ 18 à 19 % du coût des matériaux entre 2018 et 2021

« La production de LLS est encore insuffisante » mais elle est, « en proportion, plus dynamique dans les Drom » qu’en métropole, estime Philippe Pourcel. Présent depuis 2018 en outre-mer à travers huit filiales et un patrimoine représentant la moitié du parc social ultramarin (94 000 logements), la filiale de la Caisse des dépôts a lancé, en cinq ans, la construction de 14 000 habitations, dont 9 500 sont encore en chantier. Action logement, également présent dans les cinq Drom, a produit, en 2022, 3 000 LLS, dont 1 000 en construction et 2 000 en réhabilitation. Un investissement auquel s’ajoute le soutien apporté par ALS aux bailleurs ultramarins et aux investisseurs privés à travers son plan volontaire d’investissement. Depuis 2019, 900 millions d’euros ont été engagés à ce titre.

Mais, si les coûts de construction se sont tenus jusqu’en 2022, le contexte international, notamment la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, et l’augmentation du coût des matériaux ont plus impacté le secteur du bâtiment en outre-mer qu’en métropole, souligne Philippe Pourcel. Une inflation que la FPI estime à 18-19 % la hausse des coûts des matériaux entre 2018 et 2021. Pour le dirigeant de CDC habitat, cette augmentation significative « commence à devenir un réel problème » et il « faudra voir quelle part est structurelle et quelle part est conjoncturelle ». Car, si le coût des matériaux entame une baisse sur les marchés internationaux, les professionnels ne ressentent pas encore l’impact de cette évolution sur leurs achats et certains matériaux comme l’aluminium resteront chers, estime ce dernier.

« incohérences structurelles » dues à l’application de normes métropolitaines

Outre les coûts de la main-d’œuvre qui progressent avec l’inflation, l’augmentation des coûts de l’énergie pèse sur la filière, qui importe, essentiellement d’Europe, 90 % des matériaux qui lui sont nécessaires quand d’autres plus locaux, même hors zone UE, pourraient être plus performants et constituer un approvisionnement plus naturel pour les territoires ultramarins. Des importations venues du Brésil pour alimenter la Guyane ou de l’Afrique du Sud pour La Réunion, suggèrent les participants à la table-ronde. La réglementation impose, en effet, la norme CE, ce qui engendre, selon Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics et représentant de la FFB, une « concentration de la gamme de produits possibles » et une « lenteur d’agréments » par le CSTB.

« La transcription de règles nationales qui n’ont pas de logique à s’appliquer en outre-mer » – « acoustiques alors que la ventilation naturelle pousse à vivre fenêtres ouvertes », cite, par exemple, Philippe Pourcel – engendre des « incohérences structurelles », explique le dirigeant de CDC habitat. Voire une « sinistralité en hausse depuis cinq ans », avec notamment des infiltrations dues à l’étanchéité des façades, poursuit ce dernier. « La RTAA DOM prévoit une obligation de moyens et non de performance », regrette encore Stéphane Brossard, qui déplore des « exigences réglementaires qui vont au-delà des capacités du marché à les absorber ».

S’ajoutent à ces questions de certifications des matériaux des « contraintes spécifiques à l’outre-mer », comme les constructions aux normes antisismiques et anticycloniques (y compris sur des territoires non concernés comme La Réunion) « alors que peu de règles nationales sont remises en cause », poursuit Philippe Pourcel, qui regrette un « effet cumulatif » de ces normes et la surenchère financière qu’il implique. « Le prix de revient d’un logement en outre-mer est ainsi entre 8 et 15 % plus élevé qu’en métropole alors que nous construisons des logements sans système de chauffage, sans isolation de façade, souvent sans ascenseur, sans parkings enterrés, etc. », rapporte-t-il. « On sent que le sujet des équivalences normatives est en cours de finalisation mais il reste important de le pousser », estime-t-il encore.

Enjeux fonciers

Dernier élément fréquemment cité par tous les intervenants pour expliquer le coût de production du logement : la rareté et donc le coût du foncier. Pour Nadia Bouyer, il existe un « fort enjeu de maitrise foncière et de régulation foncière, notamment pour sortir des indivisions et accompagner les mutations du parc privé dégradé ». Les inquiétudes des professionnels sur ce sujet ne font que s’accroître dans la perspective de l’application du zéro artificialisation nette. « Il va falloir se poser la question d’où nous allons pouvoir construire », lance Stéphane Brossard qui énumère les différentes contraintes existantes : l’interdiction de construire du logement social dans les QPV, les lois sur la protection de l’eau, la loi littoral, etc. Dans un contexte de contraintes financières fortes pour les collectivités, celles-ci peinent à bonifier des opérations d’aménagement, comme peuvent le faire les EPF. Ainsi, « pas une nouvelle ZAC n’a été créée en cinq ans à La Réunion », affirme l’entrepreneur.

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