La SIMAR : une politique du logement sans complexe 

Créée en 1955, la SIMAR, 1er bailleur de la Martinique, rejoint le groupe CDC Habitat en 2017. De passage sur l’île début mars, nous avons rencontré la présidente du directoire de CDC Habitat, Anne-Sophie Grave. Entretien.

Texte Floriane Jean-Gilles – Photo Jean-Albert Coopmann

La SIMAR va investir environ 50 millions d’euros cette année.
Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat

Le contexte national de crise immobilière a-t-il un impact sur la politique du logement de CDC Habitat ?

Anne-Sophie Grave : Nous avons mis en œuvre, en 2023, un plan national de soutien à la production de logements. Ce plan a consisté à précommander 17 000 logements auprès des promoteurs immobiliers. Cette crise immobilière est née d’une conjoncture particulière : la hausse des taux d’intérêts alliée à la crise de l’énergie. De la première a découlé une panne de l’accession à la propriété ; la seconde a entraîné une forte augmentation du prix des matériaux et, par conséquent, des coûts de construction. Notre objectif était donc de permettre l’engagement des chantiers afin de relancer la filière pour lui permettre de démarrer 2024 plus sereinement, même si cette année restera difficile. En Martinique, le constat est le même, avec un léger décalage par rapport à l’Hexagone. La SIMAR a d’ores et déjà identifié un certain nombre d’opérations, environ 200 logements, pour permettre aux chantiers de continuer.

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Compte tenu des enjeux de développement durable et d’économie d’énergie, quels sont les engagements de la SIMAR ?

La SIMAR est très en avance sur ces enjeux, son engagement est même exemplaire pour les autres territoires ultramarins. Elle a réalisé des travaux de rénovation du parc existant, y compris de confortement sismique, ainsi que l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures. Une partie de l’électricité générée sert à la consommation des résidents, avec un réel bénéfice pour les locataires car cela représente une économie d’environ 120 € par an sur les factures d’électricité. Cette année, ce sont 100 000 m2 de toiture qui seront équipées. Nous pouvons également citer la production d’eau chaude solaire, le déploiement de bornes de recharge pour véhicules électriques, la renaturation des sols pour les rendre moins imperméables et, pour les nouvelles résidences, la mise en place d’équipements de récupération des eaux pluviales.

Quel est le rythme de la construction de logements par la SIMAR ces 3 dernières années et quel est l’objectif en 2024 ?

Sur les trois dernières années, la SIMAR a construit entre 150 et 200 logements par an. Pour 2024 et les années suivantes, l’ambition est d’être à 300 logements. 14 000 demandes de logements sociaux restent à satisfaire en Martinique. L’objectif de la SIMAR est d’atteindre un patrimoine de 14 000 logements à l’horizon 2030.

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Qu’est-ce que cela implique vis-à-vis de la filière du BTP ?

Engager des chantiers dans ce contexte de crise permet de donner de la visibilité aux entreprises du secteur. La SIMAR va investir environ 40 millions d’euros cette année. Quand la SIMAR s’engage sur un certain nombre de chantiers, cela permet aux entreprises du bâtiment de s’organiser et d’envisager de recruter, par exemple. C’est un cercle vertueux qui favorise l’instauration d’une confiance réciproque.

Avec 12 070 logements locatifs, en 2022, le parc de la SIMAR loge environ 10 % de la population martiniquaise… qu’est-ce que cela exige de vous ?

Nous devons une qualité de service à nos locataires. C’est la raison pour laquelle la SIMAR a renforcé son organisation de proximité l’année dernière en employant 43 gardiens d’immeuble, présents sur site. Cela crée du lien social et permet de traiter rapidement les demandes. Il s’agit aussi de s’adapter au mieux à la diversité des clientèles et à leurs besoins. Par exemple, la SIMAR intervient dans la requalification du cœur de ville de Fort-de-France avec la création de logements pour étudiants, rue Garnier Pagès, dans le cadre d’une convention avec la ville signée en 2022. La SIMAR a aussi une politique forte en faveur du logement pour les seniors. Cela consiste en l’adaptation du parc immobilier au vieillissement de la population pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées : la SIMAR investit environ 15 000 euros par logement pour renforcer l’accessibilité, à raison d’une centaine de logements par an. La SIMAR a également répondu à un appel à projet de la CTM pour la construction de deux résidences autonomie à Trinité et à Ducos.

Au cours des dernières années, comment le rôle de bailleur a-t-il évolué ?

Notre mission première n’a pas changé : il s’agit d’offrir un toit aux personnes qui disposent de ressources modestes ou qui sont en difficulté sociale ou économique. Pour loger ces personnes, il faut construire, et c’est en cela que notre action est en perpétuelle évolution car il s’agit de s’adapter aux besoins du territoire, qui évoluent eux aussi. On remarque par exemple que les logements les plus anciens du parc sont très grands alors qu’aujourd’hui les demandes concernent des logements plus petits. Notre rôle consiste à identifier ces besoins pour y apporter la réponse appropriée.

CDC Habitat est l’actionnaire majoritaire de la SIMAR. Opérateur global de l’habitat d’intérêt public, CDC Habitat gère un parc de 550 000 logements à l’échelle nationale, dont près de 20 % en Outre-mer.

SIMARAvenue du Petit Paradis97233 Schœlcher0596 59 27 00www.simar.fr

En Martinique, un logement sur six est vacant en 2020

La Martinique est la région française où la part de logements vacants est la plus élevée en 2020 (16,1 %). En lien avec la déprise démographique, l’augmentation de la proportion de logements vacants est plus élevée dans la communauté d’agglomération du centre de la Martinique (+5,7 points) et celle du Pays Nord Martinique (+3,2 points). Dans l’Espace Sud, où la diminution de la population est moins forte et le marché immobilier plus dynamique, la part de logements vacants est plus faible (14,3 %).

Une commission d’enquête de l’Assemblée se penche sur le coût du logement et de la construction dans les Drom

Les besoins en logement social sont importants dans les territoires ultramarins, notamment dans ceux qui connaissent une vraie tension démographique comme la Guyane, La Réunion et Mayotte, soulignent la plupart des intervenants. Car avec 60 % des occupants d’un logement HLM en outre-mer qui disposent de revenus inférieurs à 40 % des plafonds du parc social (contre 40 % en métropole) et seulement un tiers des locataires HLM majeurs en emploi, les bailleurs sociaux accueillent des « personnes plus fragilisées » que dans l’Hexagone, précise Nadia Bouyer, directrice générale d’Action logement. »Des ajustements à faire sur les APL »En matière budgétaire, « il y a des ajustements à faire sur les APL », qui se révèlent dans certains cas « défavorables » et moins élevées pour les locataires ultramarins que pour des locataires métropolitains dans la même situation et ce, malgré un coût de la vie plus important en outre-mer, explique Sabrina Mathiot, directrice de l’Union sociale pour l’habitat Outre-mer. De même, le zonage du PTZ est « défavorable » à ces territoires « alors que l’accession permet de libérer des logements dans le parc social », poursuit cette dernière, qui plaide pour réparer ces « écarts, pour ne pas dire ces inégalités », par des interventions législatives.Du côté des bailleurs, « depuis le Plom 2, nous avons vu des choses se mettre en place, comme l’extension du crédit d’impôt sur les réhabilitations en zone QPV ou l’entrée en vigueur de l’APL foyer qui va permettre de solvabiliser et de développer les résidences sociales et seniors », avance Philippe Pourcel, directeur général adjoint en charge du réseau des outre-mer de CDC habitat. Mais « l’accession sociale à la propriété est aujourd’hui en panne » en outre-mer, estime Nadia Bouyer. La faute aux taux d’intérêt qui augmentent et qui empêchent les partenaires bancaires d’apporter le complément de financement nécessaire à l’achat immobilier, malgré le maintien dans les Drom de l’APL accession et les aides prévues par la LBU ou les prêts Action logement, explique la directrice générale de l’organisme paritaire, qui demande une révision des critères bancaires en la matière. L’année dernière, 30 % des réservations effectuées dans le logement libre neuf ont été annulées pour des problèmes de financement bancaire, complète Stéphane Sanz, président de la Fédération des promoteurs immobiliers de La Réunion.+ 18 à 19 % du coût des matériaux entre 2018 et 2021″La production de LLS est encore insuffisante » mais elle est, « en proportion, plus dynamique dans les Drom » qu’en métropole, estime Philippe Pourcel. Présent depuis 2018 en outre-mer à travers huit filiales et un patrimoine représentant la moitié du parc social ultramarin (94 000 logements), la filiale de la Caisse des dépôts a lancé, en cinq ans, la construction de 14 000 habitations, dont 9 500 sont encore en chantier. Action logement, également présent dans les cinq Drom, a produit, en 2022, 3 000 LLS, dont 1 000 en construction et 2 000 en réhabilitation. Un investissement auquel s’ajoute le soutien apporté par ALS aux bailleurs ultramarins et aux investisseurs privés à travers son plan volontaire d’investissement. Depuis 2019, 900 millions d’euros ont été engagés à ce titre.Mais, si les coûts de construction se sont tenus jusqu’en 2022, le contexte international, notamment la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, et l’augmentation du coût des matériaux ont plus impacté le secteur du bâtiment en outre-mer qu’en métropole, souligne Philippe Pourcel. Une inflation que la FPI estime à 18-19 % la hausse des coûts des matériaux entre 2018 et 2021. Pour le dirigeant de CDC habitat, cette augmentation significative « commence à devenir un réel problème » et il « faudra voir quelle part est structurelle et quelle part est conjoncturelle ». Car, si le coût des matériaux entame une baisse sur les marchés internationaux, les professionnels ne ressentent pas encore l’impact de cette évolution sur leurs achats et certains matériaux comme l’aluminium resteront chers, estime ce dernier. »incohérences structurelles » dues à l’application de normes métropolitainesOutre les coûts de la main-d’œuvre qui progressent avec l’inflation, l’augmentation des coûts de l’énergie pèse sur la filière, qui importe, essentiellement d’Europe, 90 % des matériaux qui lui sont nécessaires quand d’autres plus locaux, même hors zone UE, pourraient être plus performants et constituer un approvisionnement plus naturel pour les territoires ultramarins. Des importations venues du Brésil pour alimenter la Guyane ou de l’Afrique du Sud pour La Réunion, suggèrent les participants à la table-ronde. La réglementation impose, en effet, la norme CE, ce qui engendre, selon Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics et représentant de la FFB, une « concentration de la gamme de produits possibles » et une « lenteur d’agréments » par le CSTB. »La transcription de règles nationales qui n’ont pas de logique à s’appliquer en outre-mer » – « acoustiques alors que la ventilation naturelle pousse à vivre fenêtres ouvertes », cite, par exemple, Philippe Pourcel – engendre des « incohérences structurelles », explique le dirigeant de CDC habitat. Voire une « sinistralité en hausse depuis cinq ans », avec notamment des infiltrations dues à l’étanchéité des façades, poursuit ce dernier. « La RTAA DOM prévoit une obligation de moyens et non de performance », regrette encore Stéphane Brossard, qui déplore des « exigences réglementaires qui vont au-delà des capacités du marché à les absorber ».S’ajoutent à ces questions de certifications des matériaux des « contraintes spécifiques à l’outre-mer », comme les constructions aux normes antisismiques et anticycloniques (y compris sur des territoires non concernés comme La Réunion) « alors que peu de règles nationales sont remises en cause », poursuit Philippe Pourcel, qui regrette un « effet cumulatif » de ces normes et la surenchère financière qu’il implique. « Le prix de revient d’un logement en outre-mer est ainsi entre 8 et 15 % plus élevé qu’en métropole alors que nous construisons des logements sans système de chauffage, sans isolation de façade, souvent sans ascenseur, sans parkings enterrés, etc. », rapporte-t-il. « On sent que le sujet des équivalences normatives est en cours de finalisation mais il reste important de le pousser », estime-t-il encore.Enjeux fonciersDernier élément fréquemment cité par tous les intervenants pour expliquer le coût de production du logement : la rareté et donc le coût du foncier. Pour Nadia Bouyer, il existe un « fort enjeu de maitrise foncière et de régulation foncière, notamment pour sortir des indivisions et accompagner les mutations du parc privé dégradé ». Les inquiétudes des professionnels sur ce sujet ne font que s’accroître dans la perspective de l’application du zéro artificialisation nette. « Il va falloir se poser la question d’où nous allons pouvoir construire », lance Stéphane Brossard qui énumère les différentes contraintes existantes : l’interdiction de construire du logement social dans les QPV, les lois sur la protection de l’eau, la loi littoral, etc. Dans un contexte de contraintes financières fortes pour les collectivités, celles-ci peinent à bonifier des opérations d’aménagement, comme peuvent le faire les EPF. Ainsi, « pas une nouvelle ZAC n’a été créée en cinq ans à La Réunion », affirme l’entrepreneur. À lire aussi À découvrir